l'encrier de rosemarie

l'encrier de rosemarie

Méthode Coué

Elle pensait:

- Moi? Une pauvre petite chose ballottée par les courants de la vie, réduite à l'état de méduse échouée, moche et répugnante? Jamais!

Elle se regardait complaisamment dans le miroir, souriant à son image:

- Salut ma belle, tu as l'air d'une princesse ce soir.

Elle examinait son reflet d'un œil faussement sévère. Flattant sa silhouette amaigrie, la longue robe assortie d'une jaquette de la même teinte gris-blanc, l'écharpe rose vif qui illuminait son visage, le maquillage soigné, chaque mèche de ses cheveux soigneusement arrangée pour donner une fausse impression de désordre. Elle était sûre d'avoir fait le maximum, que mieux serait moins bien.

 

Elle avait tant marché pour arriver dans ce nouveau territoire. Elle avait tant pleuré de souffrance, de désespoir et de fatigue. Elle avait tant lutté pour ne pas sombrer. La terre qu'elle foulait aujourd'hui était moins caillouteuse. Le soleil la réchauffait davantage. Le vin avait meilleur goût. La vie reprenait quelques pâles couleurs.

 

Ce soir, elle avait un rendez-vous. Elle prononçait ce mot à haute voix, comme pour éprouver sa musique, le goût qu'il laissait sur sa langue. Elle le répétait, mot désappris depuis longtemps. Pour s'amuser, elle le disait dans d'autres langues: "cita", "encontro", "appointment", "appuntamento"... Les mots roulaient dans sa gorge et elle riait de son accent qui les déformait.

 

Elle revenait de si loin! C'était comme une renaissance, un nouvel envol. Elle avait voulu disparaître dans ce tremblement de terre qui avait jeté à terre la belle maison de sa vie et toutes ses certitudes. Piétiné le bel amour, disparu le cocon de tendresse, avortés les rêves et les projets d'avenir. Ensevelie sous les ruines, elle ne voulait juste rester là et mourir.

 

Elle ne veut plus y penser ce soir. Elle est resplendissante, affamée de vie, tournée vers l'avenir. Elle enfile ses chaussures toutes neuves (à talons, qui l'aurait cru?). Elle regarde l'heure, impatiente. Comme ces aiguilles se traînent! Attendre encore, le corps vibrant de fébrilité. Et les souvenirs qui en profitent pour s'infiltrer sournoisement...

 

Elle lutte contre les pensées toxiques qui l'assaillent et la ramènent malgré elle aux jours qui ont suivi le cataclysme. Elle songe avec une immense reconnaissance à tous ceux qui se sont précipités pour retirer les gravats, les pans de murs éboulés, la poussière. Tous ces amis qui lui ont tendu la main et qui l'ont tirée de force des décombres, sans écouter son envie de mourir. Ils l'ont portée dans leurs bras, ils lui ont dit combien elle était brave et belle. Qu'aucun être humain ne valait la peine qu'on abandonne sa vie pour lui. Que la personne la plus importante au monde, c'était elle, quoiqu'elle puisse en penser.

 

Ce soir, oui, c'est vrai. Elle est brave et belle. Elle est la personne la plus importante du monde. Elle s'aime enfin... Elle retourne à son miroir, étire ses lèvres dans un sourire qui se veut plein d'entrain et d'assurance. Son menton tremble un peu. Ne pas penser. Ne pas pleurer, son maquillage va couler. Il faudra tout recommencer et elle sera en retard. Non, ne pas pleurer...

rf/6.3.11



06/10/2015
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