l'encrier de rosemarie

La télévision montre l'image d'une jolie femme. Assise, les jambes croisées, elle répond aux questions d'unejournaliste avec aisance. José se dit qu'elle doit avoir une cinquantaine d'années. Ses cheveux bruns, relevés en chignon, sont marqués d'un peu de gris. Quand la caméra fait un gros plan sur son visage, on distingue quelques rides sous le maquillage. José remarque l'élégance du tailleur marine, avec le foulard à pois assorti. La femme porte une bague ornée d'une grosse pierre bleue qui scintille quand ses mains ponctuent son propos. Sourire aux lèvres, elle raconte, explique, répond avec assurance.

José est assis sur le canapé, les coudes sur les genoux. Il essaie de suivre le dialogue. Il est impressionné par la facilité de parole de cette femme, par son vocabulaire. Elle doit être bien savante. Apparemment, il s'agit dela directrice de la bibliothèque de la ville. Elle parle d'un prix de littérature pour jeunes auteurs. Elle a présidé le jury et dit tout le bien qu'elle pense de la lauréate, une adolescente dont elle loue l'écriture. José attrape au vol le nom de cette femme: Annie Gridel. A voix basse, il se le répète plusieurs fois pour être sûr de s'en souvenir. Il sait où se trouve la bibliothèque municipale, même s'il n'a jamais osé en franchir la porte. "Je suis sûr qu'elle écrit sans faire une seule faute", pense-t-il.

Sa sœur Isabel est assise à côté de lui. Elle regarde distraitement l'écran, en pianotant sur son téléphone.

- Elle est bien, cette bibliothécaire. Elle donne envie de lire ce bouquin, non?

José ne répond pas. Isabel le regarde par-dessus ses lunettes.

- Je sais bien que lire n'est pas dans tes priorités. Tu m'avais pourtant dit que tu voulais suivre des cours, non?

José ne répond pas. Il se lève et quitte le salon. Isabel le suit des yeux. Elle aimerait poursuivre la conversation, mais son frère a déjà disparu dans l'escalier qui mène aux chambres de l'étage. Elle soupire. Chaque fois qu'elle aborde le sujet, José esquive.

Isabel travaille comme secrétaire dans une importante entreprise d'appareils ménagers. Elle a un diplôme de commerce, obtenu par correspondance. Depuis son arrivée en Suisse, elle a fait d'énormes efforts pour apprendre, pour surmonter ses lacunes en langue, comptabilité et administration. Aujourd'hui, elle maîtrise le français presque aussi bien que le portugais, sa langue maternelle. Elle a aussi suivi des cours d'allemand et d'anglais. Elle envisage de postuler pour un emploi plus important et mieux payé. Il y a trois ans, José a quitté le Portugal et l'a rejointe. Il a trouvé du travail sur un chantier. Manœuvre. Un travail répétitif, pénible, sans beaucoup d'intérêt, pas très bien payé. Elle essaie de le motiver à faire un formation. Maçon, carreleur ou menuisier. José hoche la tête, lui dit qu'il va y penser, mais rien ne se passe. Il est doué d'une force d'inertie impressionnante et Isabel finit par laisser tomber.

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