l'encrier de rosemarie

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Le pavillon de musique: minipolar - Suzanne Gigon

Tous les mercredis, Madame Dénériat, directrice de la résidence «Les Bleues», tenait à apporter personnellement à 1500 h le thé à son résident préféré, M. Martin.

M. Martin, un octogénaire distingué, s’était réfugié après le décès de son épouse aux «Bleues». Il y louait un deux-pièces confortable avec vue sur un parc magnifique, plein de vieux arbres et un petit étang. Au bord de l’étang il y avait un petit pavillon délabré. Au grand désespoir de Mme Dénériat, ses moyens financiers ne lui permettaient pas de le restaurer et en faire un pavillon de musique où elle comptait inviter de jeunes musiciens et donner des concerts pour un public averti et trié sur le volet. Elle se voyait comme future bienfaitrice de pianistes débutants.

D’un pas décidé, Mme Dénériat se dirigea en balançant le petit plat argenté avec le Darjeeling et deux biscuits secs, tout en évitant de déverser le thé dans la soucoupe, vers l’appartement de M. Martin.

Un bruit incongru, ressemblant à un grognement, ou plutôt un rugissement, la fit s’arrêter net avant de frapper à la porte de M. Martin. Curieuse, elle ouvrit doucement la porte et ce qu’elle y aperçut la glaça d’horreur. Pantelante et rouge de honte, elle rebroussa chemin. Son cœur battait la chamade. Dans son bureau, elle s’affala sur sa chaise.

  • Oh ! Le cochon ! Oh ! Le vieux pervers ! suffoqua-t-elle.

C’est alors que son regard se porta sur son calendrier et qu’elle réalisa qu’il n’était que mardi et non mercredi. Mardi, le jour de visite de Monica M., la nièce de M. Martin.

  • Nièce mon cul ! ragea Mme Dénériat ! 

  • Tu parles, une grue ! Une prostituée ! 

Ah ! Il allait l’entendre, ce vieux lubrique ! Une femme de mauvaise vie dans son établissement. Jamais ! Dès ce soir elle allait rappeler ce porc à l’ordre et faire cesser ces visites.

Après le dîner servi en appartement, Mme Dénériat s’en alla trouver M. Martin.

Courtoisement M. Martin lui ouvrit sa porte et pria gentiment Mme Dénériat d’entrer et de prendre place. Cette dernière qui n’avait pas décoléré de tout l’après-midi se planta devant lui et lui asséna :

  • Votre soi-disant nièce Monica est interdite de mon établissement avec effet immédiat ! Je ne tolérai plus ses visites sous mon toit !

  • Ah oui ? lui rétorqua M. Martin glacial, alors écoutez-moi bien Madame la Directrice : Lorsque je dis que Monica est ma nièce, c’est ma nièce. Elle continuera à me rendre visite tant que je l’exigerai, ne vous déplaise ! D’ailleurs, si vous vous y opposez, je changerai mon testament et vous oublierez la restauration de votre pavillon de musique !

Confortablement calé dans un fauteuil au bar du Bellevue, le Conseiller national Marc T. soufflait sur son espresso brûlant. Avant de se rendre aux Chambres fédérales, il avait largement le temps de lire la presse matinale. Nonchalamment, il s’empara du journal de boulevard. Surpris et écarquillant les yeux, il vit sur la première page une photo de Monica M. menottée quittant son studio accompagnée de deux policiers. L’headline titrait :

Monica M. escort-girl, meurtrière présumée d’un richissime rentier. Il lut l’article qui lui apprit que Monica M. aurait étouffé son client lors d’ébats érotiques. En témoignait personnellement la directrice, Mme Dénériat, qui souffrant d’insomnie, avait vu vers minuit une ombre furtive quitter précipitamment sa résidence «Les Bleues». Elle avait cru reconnaître en la fugitive la nièce de M. Martin.

Le Conseiller national relut l’article, sortit son agenda et compara la date du soi-disant meurtre avec ses rendez-vous personnels. 

  • C’est bien ce que je pensais., murmura-t-il, Monica ne peut pas être la meurtrière. 

Il sortit son portable et téléphona à son ami, le commandant de la police et le pria de libérer Monica M. lui fournissant l’alibi nécessaire. Quelques heures plus tard, Monica M. quittait discrètement l’établissement de la police.

Après un nouvel interrogatoire, la directrice des «Bleues» craqua et avoua avoir tué M. Martin dans son sommeil.

Depuis, au « violon » elle a le temps de réfléchir à son pavillon !

Suzanne Gigon

Nendaz, le 15 octobre 2012



06/10/2015
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